1
Depuis quand niches-tu
Sur ton infortune?
Prends garde! tu vas nous couver bientôt
Un uf,
Un uf de basilic,
Que ton long chagrin va faire éclore!
Pourquoi Zarathoustra rôde-t-il au flanc de la montagne?
Méfiant, sombre, ulcéré
Quel patient guetteur!
Mais soudain un éclair,
Éblouissant, effroyable, monte dun coup
De labîme vers le ciel :
-Et la montagne elle-meme secoue
Ses entrailles.
Là oů la haine et la foudre
Se sont réunies en une malédiction -,
A présent la colère de Zarathoustra habite les monts,
Et une nuée dorage rampe sur son chemin.
Tapissez-vous sous votre dernière couverture!
Au lit, vous autres douillets!
Maintenant le tonnerre roule sous les voűtes,
Et tremble ce qui est mur ou poutre,
Et dansent les éclairs et les sulfureuses vérités –
Cest Zarathoustra qui maudit
2
Cette monnaie que tous
Donnent en paiement,
La gloire -,
Cette monnaie, j’y touche avec des gants,
Je la jette à mes pieds et la piétine avec dégoűt.
Qui veut etre payé?
Ceux qui sont à vendre
Qui est vénal, tend
Ses graisseuses mains
Vers ce clinquant cliquetis de fous, la gloire!
-Veux-tu les acheter?
Ils sont tous à vendre,
Mais offre-leur gros,
Fais sonner bourse pleine!
-Sinon tu les fortifierais,
Tu fortifierais leur vertu
Ils sont tous vertueux
Gloire et vertu cela saccorde.
Aussi longtemps que vivra le monde,
Il paiera le caquet de la vertu
Avec le cliquetis de la gloire -,
Ce bruit-là nourrit lunivers.
Devant tous les vertueux
Je veux etre débiteur,
Etre nommé lendetté, le chargé de toute grande dette!
Devant tous les claironneurs de gloire,
Mon ambition se fait ver de terre :
Parmi ceux-là me prend envie
D’etre le dernier des derniers
Cette monnaie que tous
Donnent en paiement,
La gloire,
Cette monnaie, j’y touche avec des gants,
Je la jette à mes pieds et la piétine avec dégoűt.
3
Silence!
Face aux grandes choses et jen vois de grandes
Il faut se taire
Ou parler grandement :
Parle haut, ma sagesse extasiée!
Je regarde là-haut,
Oů roulent des mers lumineuses :
Ô nuit, ô silence, ô bruyant silence de mort!
Japerçois un signe :
Du plus lointain des lointains
Vers moi lentement descend, étincelante, une constellation
4
Très haute constellation de l’etre!
Table de figures éternelles!
Est-ce toi qui viens à moi?
Ce que personne n’a vu,
Ta muette beauté,
Comment? Elle ne fuit pas mes regards
Enseigne de la nécessité!
Table de figures éternelles!
Tu le sais déjà :
Ce que tous détestent,
Ce que je suis seul à aimer,
Que tu es éternelle,
Que tu es nécessaire!
Mon amour ne s’enflamme
Éternellement qu’à la seule nécessité.
Enseigne de la nécessité!
Très haute constellation de l’etre!
Toi qu’aucun voeu n’atteint,
Que ne souille aucun Non,
Éternel Oui de l’etre,
Éternellement, je suis ton Oui :
Car je t’aime, Ô Éternité!
(Friedrich Nietzsche, Dithyrambes pour Dionysos)