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Montaigne,  Essais, « Des Cannibales », I, 31 ; « Des Coches », III, 6 [translation en français moderne autorisée] / parcours : notre monde vient d’en trouver un autre.

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« Des Cannibales », I, 31 

« Des Coches », III, 6

Les Essais (lire en ligne) sont l’œuvre majeure de Michel de Montaigne (1533-1592). Il traite de tous les sujets possibles : médecine, amour, sexualité, livres, affaires domestiques, histoire ancienne, chevaux, il mêle des réflexions sur sa propre vie et sur l’Homme, le tout formant « un pêle-mêle où se confondent comme à plaisir les choses importantes et futiles, les côtés vite surannés et l’éternel. »

On voit l’importance du « je » dans ce que Montaigne annonce  au tout début de ses Essais : « Je suis moi-même la matière de mon livre ».  Mais on voit ce « je » cheminer à nos côtés, même lorsqu’il est question de terres lointaines qu’il n’a jamais foulées.

Montaigne  confie ainsi, dans « Des cannibales » : « J’ai eu longtemps avec moi un homme qui était resté dix ou douze ans dans cet autre monde qui a été découvert dans notre siècle, à l’endroit où Villegagnon débarqua, pays qu’il surnomma la France Antarctique. Cette découverte d’un pays infini semble être d’importance ».

Dans « Des coches », Montaigne n’hésite pas à s’attarder sur ses propres expériences, il décrit son rapport à la peur et aux émotions, il avoue qu’il ne se sent « pas assez fort pour soutenir le coup et l’impétuosité de ce phénomène de la peur, ni d’une autre impression violente », parce que c’est lui qui mène l’argumentation et il prend le soin d’exprimer clairement son opinion.

Les citations sont empruntées à l’adaptation en français moderne d’André Lanly publiée aux éditions Gallimard dans la collection « Quarto ».

Montaigne entame la rédaction de ses Essais au moment où les ouvrages sur la pensée antique connaissent un succès croissant, par exemple les traductions en français et les compilations des écrits de Platon, Cicéron, Sénèque, et surtout Plutarque.

Les Essais sont ainsi une leçon de tolérance, ce qui apparaît dans un célèbre passage où Montaigne oppose la barbarie des civilisés et des colonisateurs du Nouveau Monde à l’innocent bonheur des Cannibales, tout proches de l’état de Nature : « Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie. »

Le contexte  « Des coches »

Dans ce chapitre publié dans l’édition des Essais de 1588, Montaigne aborde la question de la colonisation européenne du Nouveau Monde, et notamment les conquêtes sanglantes du Mexique et du Pérou par les conquistadores.

Il explique comment deux civilisations entrent en contact et révèlent leurs différences, confrontation qui lui permet de dénoncer la fausse supériorité militaire des Européens, et de faire l’éloge de la vertu des Amérindiens.

L‘éloge et le mythe du bon sauvage

Montaigne fait l’éloge des Indiens d’Amérique face aux Européens, en mettant en valeur leurs nombreuses vertus : « hardiesse et courage, fermeté, constance, résolution contre les douleurs et la faim et la mort », principes qui font des Indiens de véritables philosophes stoïciens.

Le stoïcisme est une philosophie antique préconisant la fermeté morale et le détachement des passions pour accéder à la sagesse et au bonheur.

Il affirme dans « Des cannibales », qu’ils « sont encore dans cette heureuse situation de ne désirer qu’autant que leurs besoins naturels leur demandent » et « tout ce qui est au-delà est pour eux superflu ». Dans « Des coches », il décrit « un monde enfant », mais ces hommes et ces femmes ne sont « nullement inférieurs en clarté d’esprit naturelle et en justesse ».

Le chapitre intitulé « Des coches » peut surprendre le lecteur, parce que Montaigne annonce : « Notre monde vient d’en trouver un autre ». Ici, l’auteur fait lui-même un parallèle avec le chapitre 31 de son livre I : « témoin mes cannibales ».

Un autre monde c’est le monde des peuples injustement méprisés et dès le début de son texte consacré aux cannibales, Montaigne interroge la notion de « barbare » : « Les Grecs appelaient ainsi tous les peuples étrangers ».

Montaigne prône la curiosité et la réflexion : « il faut se garder d’adhérer aux opinions courantes, et il faut juger les gens par la voie de la raison, non par la voix de tout le monde ».

Il loue « la hardiesse », le « courage » et « la noble obstination » de ceux qui ont subi ces attaques souvent déloyales, pendant qu’à vaincre sans péril, les conquérants ont triomphé sans gloire.

Les Indiens sont aussi dignes d’admiration que les plus grands auteurs de l’Antiquité, dont la redécouverte est essentielle à la culture humaniste de la Renaissance : « plus fameux exemples anciens que nous ayons aux mémoires de notre monde ».

La civilisation européenne lui apparaît comme une puissance uniquement capable de force et de violence, sans aucune sagesse, car ils sont « ceux qui les ont subjugués ».

À la vertu des Indiens, répond la fausseté malveillante de la civilisation européenne.

Montaigne cherche à prouver, à travers un rappel historique de la confrontation entre l’Ancien et le Nouveau Monde, la supériorité morale des peuples amérindiens sur la civilisation européenne, qui est présentée comme belliqueuse, trompeuse et barbare.

Notre monde vient d’en trouver un autre

C’est le contexte des Grandes Découvertes du xvie siècle : Christophe Colomb, Jacques Cartier, Amerigo Vespucci, Vasco de Gama, Magellan…, qui permettent d’étendre la vision du monde et de l’enrichir à plusieurs niveaux : géographique, scientifique, culturel, historique, économique, artistique, humain, ouverture d’envergure qui invite également à un retour sur soi et génère de multiples réflexions dont la littérature a su s’emparer.

Surprise et fascination

Ce qui a permis aux Européens de soumettre les Amérindiens à leur pouvoir c’est la surprise, qui tient au fait que les conquérants espagnols sont en tout point opposés, physique et moral, aux Amérindiens, comme le montre l’énumération de différences : « gens barbus, divers en langage, religion, en forme et en contenance ».

Montaigne insiste sur la stupeur ressentie par ces peuples, par l’expression « des grands monstres inconnus », qui désigne les chevaux des conquistadores, en temps que les chevaux avaient disparu du continent américain depuis des milliers d’années : « ceux qui n’avaient jamais vu de cheval »

Les Indiens sentaient aussi la fascination,  « la curiosité de voir des choses étrangères ou inconnues ».

Violence contre pureté

La violence guerrière des Européens face aux Amérindiens pacifiques insiste sur la dénaturation monstrueuse des guerriers espagnols, révèlent par contraste la pureté originelle des Indiens d’Amérique, qui  ne sont pas aussi avancés scientifiquement et techniquement que les Européen :  « qui n’avaient ni science ni matière par où ils sussent percer notre acier »

L’antithèse entre l’image violente des « foudres et tonnerres de nos pièces et arquebuses » d’une part, et les « arcs, pierres, bâtons et boucliers de bois » d’autre part, souligne l’inégalité des deux belligérants.

Une réflexion sur l’Autre et un retour inévitable sur soi

Un autre monde est une réflexion sur l’Autre, car Montaigne rappelle que le récit de voyage donne à voir des mondes nouveaux propre à stimuler la réflexion, mais aussi un retour sur soi enrichi, car les Grandes Découvertes servent l’idéal humaniste et nourrissent l’Homme. Le retour sur soi peut conduire à un éloge du savoir, pendant que la découverte de l’autre (sa personnalité, son mode de vie, ses croyances, ses traditions, ses cultures, ses pensées, ses lieux et espaces géographiques de vie…) invite en effet à se poser des questions sur soi.

L’emploi du subjonctif

Dans le texte « un endroit du monde où ils n’avaient jamais imaginé qu’il y eût habitation quelconque », le verbe « eût » est conjugué au subjonctif imparfait, parce que  le verbe se trouve dans une proposition subordonnée complétive conjonctive, complément d’objet direct du verbe « avaient imaginé », sous la forme négative, qui exprime un sentiment ou une opinion.

Quand le verbe principal « avaient imaginé » est conjugué au passé (plus-que-parfait de l’indicatif), la concordance des temps exige que l’on utilise l’imparfait du subjonctif « eût » pour exprimer une action simultanée.

Le subjonctif imparfait se trouve constamment dans le français du xvie siècle, mais il n’appartient plus à la langue courante d’aujourd’hui.

Il traduit une valeur de doute voire d’impossibilité, car pour les Amérindiens, le fait que des êtres humains aient pu habiter sur une autre terre que la leur est une chose qu’ils n’avaient pas même envisagée.

Introspection et observation du monde

Les Essais se distinguent de toute la littérature de vulgarisation du xvie siècle par la place fondamentale accordée à l’introspection et au jugement personnel.

Les Essais  sont également une observation du monde à travers les livres.

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