Edmond Michon
Stupeur !
Mais quelle ne fut sa stupeur, quand il vit soudain,
Ses femmes qui réclamaient, la justice et du pain,
Leurs visages en colère depuis de nombreux siècles.
Elles étaient étrangères, à ces poudres, à ces boucles !
Et les siècles ont passé. Les Sans Culottes sont toujours aussi démunis, les grands seigneurs, maintenant les maîtres mondiaux d’une économie libérale et les responsables de centaines de conflits qui ont causé la mort à des centaines de millions d’individus.
Mais ils ressentent la même stupeur quand des êtres humains, victimes de leur économie ou de leurs guerres débarquent, dans leurs bureaux, ou bien ailleurs pour demander des comptes !
Des hommes, des femmes, des enfants, de chair et d’os, pères et mères habillés là où cela ne coûte pas chair. Ils vont au resto du cœur pour certains, fréquemment dans des centres d’aides alimentaires, vestimentaires et tout bonnement humain. Les plus chanceux cherchent et trouvent des petits boulots pour de petites durées à quelques euros de l’heure. L’odeur de la sueur et de la transpiration est aussi forte l’hiver que l’été. Des chutes dues à ceux hommes et à ces femmes qui ont toujours les rênes entre les mains !
Mais quelle ne fut leur stupeur quand ils virent soudain,
Dans leur bureau doré, ces êtres réclamant
Du travail, à manger, des loisirs et du temps
Face aux loups de la bourse à l’appétit sans fin.
Pierrot était un gars dévoué à son boulot et à ses idées. Célibataire par choix, activiste par choix, preneur de coups par choix ! Le patron rêvait comme l’oncle Picsou aux profits qu’il engrangeait chaque jour. Pierrot et ses équipiers, tentaient de s’opposer à toutes les manœuvres qui allaient dans cette direction. Pierrot voyait tous les hommes et toutes les femmes au travail. Stress, pause, repos, débauche, embauche, rythme, cadence et rentabilité. Parfois, à l’extérieur, invité, il goûtait à la vie familiale, et retrouvait le soir celle des célibataires. Sa famille en quelque sorte était ce groupe de copains et de copines, et lui, né sous x.
Mais quelle ne fut leur stupeur, quand ils virent soudain,
Ces ouvriers occuper ce site étranglé,
Et dont la fermeture était le seul destin,
Fermeture programmée, pour des profits pensés.
Des mois d’occupation, des manifestations, le froid, la pluie, le brasero brûlant en permanence pour tenir le coup, la charge des CRS repoussée. Les tracts, les marchés, les manifs, la préf, les médias, locaux, régionaux, nationaux, des mos, des semaines. Des tentatives repoussées quand les nervis voulaient déménager les machines sous l’œil des CRS qui auraient bien chargés, mais les médias prévenus, la collusion aurait été évidente. Et ils étaient là.
Ils marchaient debout, les duvets, les tentes, les casse-croûtes, le bluzz, le rire, des tensions, ils ne rasaient guère. Mais leur regard était déterminé, redoutable comme celui des femmes qui assuraient bien la logistique et participaient à la lutte de manière remarquable. Elles furent à l’origine de la stratégie, et de l’idée qui allait emporter ce rapport de force.
Et cette idée, ils la pensèrent, la pofinèrent et la concrétisèrent. Aujourd’hui, plus aucune trace des luttes, des affrontements, des braseros, des barricades. Un bâtiment repeint à neuf, une entrée et un gardien à la loge toutes neuves, des camions qui entrent et qui sortent, le bruit des machines qui fonctionnent, une usine en marche quoi !
Ils rêvaient d’une société aux fondements opposés à la société actuelle, une société avec plus de justice, une société avec plus de liberté, plus d’égalité, plus de paix.
Ils fondèrent donc une coopérative ouvrière de production. Elle tourne. Elle réalise de la plus value réinvestis dans la cop, les ouvriers, la formation… aujourd’hui, les ouvrières et les ouvriers sourient en bossant. Sourire en travaillant !
Quelle ne fut leur grimace, quand ses patrons battus,
Virent naître, prendre forme, œuvre de tous ces exclus
Une coopérative, entreprise viable,
Qui fermait ses portes au seigneur et à ses diables !