Molière
Le Bourgeois gentilhomme
1670
LE BOURGEOIS GENTILHOMME,
COMÉDIE-BALLET EN CINQ ACTES.
14 octobre 1670, à Chambord.
PERSONNAGES DE LA COMÉDIE.
MONSIEUR JOURDAIN, bourgeoi
MADAME JOURDAIN, sa femme
LUCILE, fille de M. Jourdain
CLÉONTE, amoureux de Lucile
DORIMÈNE, manrquise
DORANTE, comte, amant de Dorimène
NICOLE, servante de Jourdain
COVIELLE, valet le Cléonte
UN MAITRE DE MUSIQUE
UN ÉLÈVE du maître de musique
UN MAÎTRE À DANSER
UN MAÎTRE D’ARMES
UN MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
UN MAÎTRE TAILLEUR
UN GARÇON TAILLEUR
DEUX LAQUAIS
PERSONNAGES DU BALLET
DANS LE PREMIER ACTE
UNE MUSICIENNE.
DEUX MUSICIENS.
DANSEURS.
DANS LE SECOND ACTE.
GARÇONS TAILLEURS dansants.
DANS LE TROISIÈME ACTE.
CUISINIERS dansants.
DANS LE QUATRIÈME ACTE.
cérémonie turque.
LE MUFTI.
TURCS assistants du mufti, chantants.
DERVIS chantants.
TURCS dansants.
DANS LE CINQUIÈME ACTE.
ballet des nations.
UN DONNEUR DE LIVRES dansant.
IMPORTUNS dansants.
TROUPE DE SPECTATEURS chantants.
PREMIER HOMME du bel air.
SECOND HOMME du bel air.
PREMIÈRE FEMME du bel air.
SECONDE FEMME du bel air.
PREMIER GASCON.
SECOND GASCON.
UN SUISSE.
UN VIEUX BOURGEOIS babillard.
UNE VIEILLE BOURGEOISE babillarde.
ESPAGNOLS chantants.
ESPAGNOLS dansants.
UNE ITALIENNE.
UN ITALIEN.
DEUX SCARAMOUCHES.
DEUX TRIVELINS.
ARLEQUINS.
DEUX POITEVINS chantants et dansants.
POITEVINS et POITEVINES dansants.
ACTE PREMIER.
L’ouverture se fait par un grand assemblage d’instruments ; et dans le milieu du théâtre on voit un élève du maître de musique qui compose sur une table un air que le bourgeois a demandé pour une sérénade.
Scène I.
Venez, entrez dans cette salle, et vous reposez là, en attendant qu’il vienne.
Et vous aussi, de ce côté.
Est-ce fait ?
Oui.
Voyons… Voilà qui est bien.
Est-ce quelque chose de nouveau ?
Oui, c’est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût éveillé.
Peut-on voir ce que c’est ?
Vous l’allez entendre avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère.
Nos occupations, à vous et à moi, ne sont pas petites maintenant.
Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux. Ce nous est une douce rente que ce monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu’il est allé se mettre en tête, et votre danse et ma musique auroient à souhaiter que tout le monde lui ressemblât.
Non pas entièrement ; et je voudrois, pour lui, qu’il se connût mieux qu’il ne fait aux choses que nous lui donnons.
Il est vrai qu’il les connoît mal, mais il les paie bien ; et c’est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose.
Pour moi, je vous l’avoue, je me repais un peu de gloire. Les applaudissements me touchent, et je tiens que, dans tous les beaux-arts, c’est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d’essuyer, sur des compositions, la barbarie d’un stupide. Il y a plaisir, ne m’en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d’un art, qui sachent faire un doux accueil aux beautés d’un ouvrage, et, par de chatouillantes approbations, vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu’on puisse recevoir des choses que l’on fait, c’est de les voir connues, de les voir caressées d’un applaudissement qui vous honore. Il n’y a rien, à mon avis, qui nous paie mieux que cela de toutes nos fatigues ; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées.
J’en demeure d’accord, et je les goûte comme vous. Il n’y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites ; mais cet encens ne fait pas vivre. Des louanges toutes pures ne mettent point un homme à son aise : il y faut mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c’est de louer avec les mains. C’est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n’applaudit qu’à contre-sens ; mais son argent redresse les jugements de son esprit ; il a du discernement dans sa bourse ; ses louanges sont monnoyées ; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici.
Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites ; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l’argent ; et l’intérêt est quelque chose de si bas, qu’il ne faut jamais qu’un honnête homme montre pour lui de l’attachement.
Vous recevez fort bien pourtant l’argent que notre homme vous donne.
Assurément ; mais je n’en fais pas tout mon bonheur ; et je voudrois qu’avec son bien il eût encore quelque bon goût des choses.
Je le voudrois aussi ; et c’est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connoître dans le monde ; et il paiera pour les autres ce que les autres loueront pour lui.
Le voilà qui vient