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Marguerite Yourcenar : Mémoires d’Hadrien / parcours : soi-même comme un autre.

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Présentation

Mémoires d’Hadrien est un roman historique de l’écrivaine française Marguerite Yourcenar, publié en 1951, composé de pseudo-mémoires de l’empereur romain Hadrien. Il a immédiatement rencontré un extraordinaire succès international et a assuré à son auteur une grande célébrité, meme si l’écrivaine française était déjà l’auteure de poèmes, de romans, de nouvelles ou de traductions.

Elle fut la première femme à entrer à l’Académie française.

Ce roman est inclus dans la liste des 100 meilleurs livres de tous les temps, établie en 2002 par le Cercle norvégien du livre, à partir des propositions de 100 écrivains issus de 54 pays différents.

Le livre se présente comme la longue lettre d’un empereur vieillissant à son petit-fils adoptif de 17 ans et éventuel successeur, Marc Aurèle. L’empereur médite, rappelant à sa mémoire ses triomphes militaires, son amour de la poésie et de la musique, sa philosophie, et sa passion pour son favori, le jeune Bithynien Antinoüs. Il revient sur son existence et sur les traces qu’il a laissées dans l’Histoire.

Ce livre a touché bien des lecteurs. Il nous entraîne dans une époque en apparence éloignée de la nôtre.

Marguerite Yourcenar fait du « je » un miroir aux multiples reflets, pour se voir  « soi-même comme un autre ».

Parcours : « Soi-même comme un autre »

Soi-même comme un autre est un ouvrage du philosophe Paul Ricœur paru au Seuil en 1990.

Constatant la disparition de l’ego de l’idéalisme de René Descartes ou Emmanuel Kant, il s’efforce de refonder l’ego, le Soi-même, mais désormais en référence permanente à l’Autre ; « l’Autre n’est pas seulement la contrepartie du Même, mais appartient à la constitution intime de son sens » (p.380).

Paul Ricœur fait dialoguer de multiples traditions de pensées (Philosophie de l’action, narratologie, philosophie analytique, phénoménologie, psychanalyse) et de multiples philosophes ; son œuvre constitue un bon exemple des constructions philosophiques de la fin du xxe siècle, refusant de s’arrêter à une interprétation définitive et préférant intégrer largement les philosophes „autres” dans une „méthode fragmentaire qui a constamment été la nôtre”.

L’ego de René Descartes et Emmanuel Kant a été battu en brèche par la critique de Nietzsche et le moi est devenu un champ de phénomènes, au même titre que le monde extérieur. Le but de l’ouvrage est de refonder le moi dans la certitude intime d’être soi, dans sa conscience morale.

Le regard porté sur soi c’est la réflexion qui peut porter sur l’identité personnelle et l’identité narrative.

Le livre invitent à réfléchir sur la construction de soi comme personnage, par l’analyse du regard que l’auteur porte sur lui-même.

Mais la construction de soi est en lien avec autrui et avec la société, car les conventions sociales influencent le personnage et la construction de son identité.

Exemple :

– La Princesse de Clèves, de Mme de Lafayette – en conformité avec le dogme sociétal

–  Don Quichotte, de Cervantès – en opposition avec lui

Le personnage peut se retrouver au cœur de conflits historiques, peut prendre sa place dans la société, il peut évoluer dans l’horreur et l’absurdité de la guerre, ou il risque parfois sa vie pour défendre une cause. La fiction peut élever le personnage au rang de figure légendaire ou mythique.

Exemple : Hadrien atteint la figure du sage dans Les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar.

Résumé

« Si j’ai choisi d’écrire ces Mémoires d’Hadrien à la première personne, c’est pour me passer le plus possible de tout intermédiaire, fût-ce de moi-même. Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi ».

Ce roman philosophico-historique est écrit dans un style dense témoignant d’une bonne connaissance des sources.  Il est une méditation de l’empereur à la fin de sa vie, sous forme d’une longue lettre adressée au futur Marc Aurèle : il retrace les principaux événements de son existence, qui fut la plus libre et la plus lucide possible.

Les chapitres, non numérotés, sont regroupés en six parties portant chacune un titre latin, et qui reprennent chronologiquement la biographie d’Hadrien.

  1. « Animula vagula blandula » (« Âmelette vaguelette, calinette ») permet au lecteur de faire connaissance avec les convictions du personnage : sobriété, rejet du végétarisme non adapté à la vie d’un homme public, essence mystérieuse de l’amour, ses bonheurs passés – chasse et équitation, et ses douleurs présentes : insomnie, approche de la mort.
  2. « Varius multiplex multiformis » (« Varié, complexe, changeant ») sur l’accession au trône d’Hadrien : sa jeunesse en Espagne, son expérience de juge chargé des litiges d’héritages à Rome, sa participation aux guerres daciques, son gouvernorat en Syrie et à la guerre contre les Parthes.
  3. « Tellus stabilita » (« La terre retrouve son équilibre ») décrit le début du règne. Hadrien devient empereur. et fait preuve de modération dans divers domaines : il pacifie l’empire, améliore la condition des esclaves, développe les infrastructures aux frontières, fonde des villes et voyage beaucoup, jusqu’en Bretagne.
  4. « Sæculum aureum » (« siècle d’or ») c’est l’histoire d’amour avec Antinoüs depuis la rencontre jusqu’à la mort du jeune homme en Égypte.
  5. « Disciplina augusta » (« discipline auguste ») pour la période qui va de la mort d’Antinoüs à la vieillesse de l’empereur, qui poursuit ses voyages et son action législatrice (Édit perpétuel) ; il est confronté à la montée du christianisme et à la révolte juive.
  6. « Patientia » (« patience »), Hadrien se préoccupe de sa mort prochaine : il envisage le suicide, tente de renforcer son endurance à la souffrance et sent son âme s’échapper de son corps.

 

Citations

Mémoires d’Hadrien

 

Mon cher Marc, Je suis descendu ce matin chez mon médecin Hermogène, qui vient de rentrer à la Villa après un assez long voyage en Asie. L’examen devait se faire à jeun : nous avions pris rendez-vous pour les premières heures de la matinée.

  • Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, 1951, p. 1

 

L’homme qui ne dort pas, et je n’ai depuis quelques mois que trop d’occasion de le constater sur moi-même, se refuse plus ou moins consciemment à faire confiance au flot des choses. Frère de la Mort… Isocrate se trompait, et sa phrase n’est qu’un amplification de rhéteur. Je commence à connaître la mort ; elle a d’autres secrets, plus étrangers encore à notre présente condition d’homme. Et pourtant, si enchevêtrés, si profonds sont ces mystères d’absence et de partiel oubli, que nous sentons bien confluer quelque part la source blanche et la source sombre.

  • Mémoires d’Hadrien suivi de carnet de notes de Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, 1976, chap. Animula Vagula Blandula, p. 48

 

Le culte de Mithra, moins répandu alors qu’il ne l’est devenu depuis nos expéditions chez les Parthes, me conquit un moment par les exigences de son ascétisme ardu, qui retendait durement l’arc de la volonté, par l’obsession de la mort, du fer et du sang, qui élevait au rang d’explication du monde l’âpreté banale de nos vies de soldats.

  • Mémoires d’Hadrien suivi de carnet de notes de Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, 1976, chap. Animula Vagula Blandula, p. 57

 

Chacun de nous croyait échapper aux limites de sa condition d’homme, se sentait à la fois lui-même et l’adversaire, assimilé au dieu dont on ne sait plus très bien s’il meurt sous forme bestiale ou s’il tue sous forme humaine. Ces rêves bizarres, qui aujourd’hui parfois m”épouvantent, ne différaient d’ailleurs pas tellement des théories d’Héraclite sur l’identité de l’arc et du but. Ils m’aidaient alors à tolérer la vie. La victoire et la défaite étaient mêlées, confondues, rayons différents d’un même jour solaire.

  • Mémoires d’Hadrien suivi de carnet de notes de Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, 1976, chap. Animula Vagula Blandula, p. 58

 

Je souris amèrement à me dire qu’aujourd’hui, sur deux pensées, j’en consacre une à ma propre fin, comme s’il fallait tant de façons pour décider ce corps usé à l’inévitable. À cette époque, au contraire, un jeune homme qui aurait beaucoup perdu à ne pas vivre quelques années de plus risquait chaque jour allègrement son avenir.

  • Mémoires d’Hadrien suivi de carnet de notes de Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, 1976, chap. Animula Vagula Blandula, p. 59

 

Je voulais que l’immense majesté de la paix romaine s’étendît à tous, insensible et présente comme la musique du ciel en marche ; que le plus humble voyageur pût errer d’un pays, d’un continent à l’autre, sans formalités vexatoires, sans dangers, sûr partout d’un minimum de légalité et de culture ; que nos soldats continuassent leur éternelle danse pyrrhique aux frontières ; que tout fonctionnât sans accroc, les ateliers et les temples ; que la mer fût sillonnée de beaux navires et les routes parcourues par de fréquents attelages ; que, dans un monde bien en ordre, les philosophes eussent leur place et les danseurs aussi. Cet idéal, modeste en somme, serait assez souvent approché si les hommes mettaient à son service une part de l’énergie qu’ils dépensent en travaux stupides ou féroces ; une chance heureuse m’a permis de le réaliser partiellement durant ce dernier quart de siècle.

  • Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, 1976, p. 197

 

Manger un fruit, c’est faire entrer en soi un bel objet vivant, étranger, nourri et favorisé comme nous par la terre ; c’est consommer un sacrifice où nous nous préférons aux choses.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Animula vagula blandula, p. 291

 

J’ai rêvé parfois d’élaborer un système de connaissance humaine basé sur l’érotique, une théorie du contact, où le mystère et la dignité d’autrui consisteraient précisément à offrir au Moi ce point d’appui d’un autre monde.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Animula vagula blandula, p. 296

 

La lettre écrite m’a enseigné à écouter la voix humaine, tout comme les grandes attitudes immobiles des statues m’ont appris à apprécier les gestes.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Animula vagula blandula, p. 302

 

Mais l’esprit humain répugne à s’accepter des mains du hasard, à n’être que le produit passager de chances auxquelles aucun dieu ne préside, surtout pas lui-même. Une partie de chaque vie, et même de chaque vie fort peu digne de regard, se passe à rechercher les raisons d’être, les points de départ, les sources.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Animula vagula blandula, p. 306

 

Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été des livres.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Varius multiplex multiformis, p. 310

 

[…] presque tout ce que les hommes ont dit de mieux a été dit en grec. […] tout ce que chacun de nous peut tenter pour nuire à ses semblables ou pour les servir a, au moins une fois, été fait par un Grec.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Varius multiplex multiformis, p. 312

 

[…], c’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974  chap. Varius multiplex multiformis, p. 97

 

Comme beaucoup de femmes peu sensibles à l’amour, elle en comprenait mal le pouvoir ; cette ignorance excluait à la fois l’indulgence et la jalousie.

  • Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974  chap. Sœuculum aureum, p. 186

 

Un homme qui lit, ou qui pense, ou qui calcule, appartient à l’espèce et non au sexe ; dans ses meilleurs moments il échappe même à l’humain.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Varius multiplex multiformis, p. 334

 

César avait raison de préférer la première place dans un village à la seconde à Rome. Non par ambition, ou par vaine gloire, mais parce que l’homme placé en second n’a le choix qu’entre les dangers de l’obéissance, ceux de la révolte, et ceux, plus graves, du compromis.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Varius multiplex multiformis, p. 348

 

Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu’on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on développe chez eux, à l’exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Tellus stabilita, p. 375

 

Le désordre s’intégrait à l’ordre ; le changement faisait partie d’un plan que l’astronome était capable d’appréhender d’avance ; l’esprit humain révélait ici sa participation à l’univers par l’établissement d’exacts théorèmes comme à Éleusis par des cris rituels et des danses.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Tellus stabilita, p. 401-402

 

Et qui dit mort dit aussi le monde mystérieux auquel il se peut qu’on accède par elle. Après tant de réflexions et d’expériences parfois condamnables, j’ignore encore ce qui se passe derrière cette tenture noire. Mais la nuit syrienne représente ma part consciente d’immortalité.

  • « Mémoires d’Hadrien » (1951), dans Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982  chap. Tellus stabilita, p. 403

 

Si ce monde larvaire et spectral, où le plat et l’absurde foisonnent plus abondamment encore que sur terre, nous offre une idée des conditions de l’âme séparée du corps, je passerai sans doute mon éternité à regretter le contrôle exquis des sens et les perspectives réajustées de la raison humaine.

  • Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974  chap. Patientia, p. 312

 

 

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