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Montesquieu, Lettres persanes / parcours : le regard éloigné.

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0:00:00 Dissertation Violinne : parcours : le regard éloigné

0:14:04 Lecture audio de la dernière lettre – LETTRE CLXI (161)

Penseur politique, précurseur de la sociologie, philosophe et écrivain français des Lumières, Montesquieu (biographie) est né le 18 janvier 1689 à La Brède (Guyenne, près de Bordeaux) et mort le 10 février 1755 à Paris.

Passionné par les sciences et à l’aise avec de l’esprit de la Régence, il publie anonymement les Lettres persanes (1721), un roman épistolaire qui fait la satire amusée de la société française vue par des Persans fictifs et met en cause les différents systèmes politiques et sociaux, y compris le leur.

Lettres persanes est un roman épistolaire de Montesquieu rassemblant la correspondance fictive échangée entre deux voyageurs persans, Usbek et Rica, et leurs amis respectifs restés en Perse. Leur séjour à l’étranger dure neuf ans.

Résumé

Usbek est un noble persan riche. Il quitte Ispahan sous la contrainte pour entreprendre, accompagné de son ami Rica, un long voyage jusqu’à Paris. Usbek laisse derrière lui les cinq épouses de son sérail (Zachi, Zéphis, Fatmé, Zélis, et Roxane) aux soins d’un nombre d’eunuques noirs et d’eunuques blancs. Au cours de son voyage et de son séjour prolongé à Paris (1712-1720), il porte une correspondance avec des amis rencontrés dans les pays traversés et des mollahs. Il dépeint d’un œil faussement naïf – celui qu’une civilisation lointaine pourrait porter sur l’Occident, réduit dès lors lui-même à quelques contrées exotiques – les mœurs, les conditions et la vie de la société française au xviiie siècle, la politique en particulier, se terminant par une satire mordante du système de Law. Au fil du temps, divers troubles font surface dans le sérail et, à partir de 1717 (lettre 139), la situation se détériore : lorsque Usbek ordonne au chef de ses eunuques de sévir, son message arrive trop tard et une révolte entraîne la mort de ses épouses, y compris le suicide par vengeance de Roxane, sa favorite et, semble-t-il, de la plupart des eunuques.

Usbek apprécie la liberté des relations entre hommes et femmes en Occident, mais il reste, en tant que maître d’un sérail, prisonnier de son passé. Ses femmes jouent le rôle de l’amoureux langoureux et solitaire, et lui celui de maître et d’amant, sans véritable communication et sans révéler grand chose sur leur véritable moi. Le langage d’Usbek avec elles est aussi limité que le leur avec lui. Sachant qu’il n’est pas assuré de revenir en Perse, Usbek est aussi déjà désabusé au sujet de leur attitude, et le sérail est un vivier avec lequel il prend de plus en plus ses distances, se défiant autant de ses épouses que de ses eunuques (lettre 6).

Le sérail est passé sous silence des lettres 94 à 143. Par ailleurs, toutes les lettres à partir de 126 (132) à 137 (148) sont de Rica, ce qui signifie que, pendant environ quinze mois, Usbek est totalement silencieux. Dès octobre 1714, Usbek a été informé que « le sérail est dans le désordre » (lettre 63 [65]), mais il ne sévit pas. Lorsque les progrès de l’esprit de rébellion le décident à agir, il est trop tard : le retard dans la transmission des lettres, dont certaines sont perdues, rend le mal sans remède.

Déprimé, Usbek se résigne apparemment, avec peu d’espoir, à la nécessité du retour en Perse. Il se lamente : « Je vais rapporter ma tête à mes ennemis » . Toutefois, à la fin de 1720, il se trouve toujours à Paris, car les lettres 134 à 137 (140-145), qui contiennent toute l’histoire du système de Law, sont en fait postérieures à la dernière missive de Roxane (datée du 8 mai 1720), qu’il doit déjà avoir reçue – le délai habituel de livraison étant d’environ cinq mois – lorsqu’il écrit sa dernière lettre (lettre supplémentaire 8 et lettre 138 [145 et 146]), en octobre et novembre 1720.

Parcours : le regard éloigné

Les différentes explorations du Nouveau Monde et les voyages ont apporté un nouvel regard sur le monde, un regard éloigné qui en plus de faire partager des horizons nouveaux, aide à mieux se comprendre. D’ici le regard sur la diversité des cultures, mais aussi le regard sur autrui pour un retour à soi.

Les voyages au cours des siècles ont montré des personnes de couleurs de peau différentes, avec des mœurs et des coutumes éloignées des nôtres, exemple : « Des Coches », Essais de Montaigne.

En même temps, les voyages permettent aussi de porter sur soi un regard distancié, soit par l’utilisation de l’ironie et de la critique – Montesquieu, soit par l’éloge de l’étranger – Montaigne, pour montrer la richesse que peut apporter la différence.

La fin du XVIIe siècle est une période de profondes mutations sur le plan des idées. C’est le temps des voyages sur des terres éloignées : Amérique, Orient, Égypte et Chine.

À l’idéal classique d’harmonie qui dominait le Grand Siècle succède l’idée d’un monde en mouvement, et la litterature donnent aux Européens des leçons de relativisme, en différentes formes : dissertation scientifique, essai sur les mœurs, roman.

Le choix du « regard persan » expose une perception du monde radicalement différente à travers son regard éloigné.

On y trouve de profonds changements dans la compréhension de l’Histoire, qui se constitue peu à peu comme discipline scientifique.

Les fondements de la pensée elle-même sont questionnés, et avec eux la méthode philosophique.

Dans les Lettres persanes on retrouve l’empirisme au fondement même de la démarche.

Montesquieu reprend le postulat méthodologique de John Locke (dans Essai sur l’entendement humain), qui démontre qu’il faut se faire étranger à soi pour mieux se juger.

Usbek a un regard neuf sur l’Occident. Il  confie à Rhédi : « je suis comme un enfant, dont les organes encore tendres sont vivement frappés par les moindres objets » (L. XLVII).

L’étranger doit se défaire des préjugés que lui a donnés son éducation, pour que ses réflexions soient le fruit d’une « conscience pure ».

« Défaites-vous des préjugés », nous conseille Montesquieu, par la voix de Usbek.

L’opposition Orient/Occident structure l’ensemble de l’œuvre par un regard comparatif.

Le regard oriental porté sur l’Occident c’est de faire émerger une connaissance nouvelle de la société occidentale, et en particulier parisienne.

La comparaison est le ressort fondamental du roman à tous les plans : les régimes politiques des villes, la situation des femmes et leur rôle politique, les causes de la grandeur et de la disgrâce, mais aussi les regards ou des points de vue sur le monde.

L’Orient et l’Occident sont d’abord opposés, mais bientôt rapprochés,  ainsi que l’Orient peut parfois apparaître comme un contre-modèle ambigu où tous les travers de la société européenne sont amplifiés.

Ainsi, la monarchie absolue y est un despotisme, et la puissance des passions y est exacerbée en tyrannie, dans une superposition des deux univers.

La politique est un thème essentiel de l’œuvre. Pour Jean Ehrard, les Lettres persanes sont avant tout « l’expression romanesque d’une prise de conscience politique ».

En même temps, la critique politique est intrinsèquement liée à la satire (Georges Benrekassa), car la satire met en lumière le déchirement entre idéal et réalité.

Montesquieu est parfois considéré comme le premier des sociologues, pour la description précise d’archétypes sociaux que l’on découvre dans Les Lettres persanes, mais aussi un satiriste, parce qu’il évoque avec humour et ironie les travers et les défauts de la société dans laquelle il vit.

Par exemple : l’Académie française est un endroit où « ceux qui la composent n’ont d’autre fonction que de jaser sans cesse » et les hommes d’Église qui ont fait vœu de pauvreté « ont en mains presque toutes les richesses de l’État »

Montesquieu juge superficiel l’esprit de cour, il se moque de tous ces hommes qui achètent des livres pour y apprendre et mémoriser de bons mots, qu’ils ressortiront aux moments opportuns, il parle des juges ne connaissent pas la loi et que le jeu est un vice dangereux.

Il attaque aussi la presse qu’il considère comme de la littérature médiocre et critique le célibat des prêtres – « une famille éternelle où il ne naît personne et qui s’entretient aux dépens de toutes les autres », la prohibition du divorce qu’il trouve absurde et il remet en cause le droit d’aînesse qui détruit l’égalité entre les citoyens.

Analyse

Le « regard étranger », dont Montesquieu donne ici un des premiers exemples éloquents, contribue à alimenter le relativisme culturel. Mais ce roman épistolaire vaut aussi en lui-même, en outre par sa peinture des contradictions déchirant le personnage central d’Usbek : partagé entre ses idées modernistes et sa foi musulmane, il se voit sévèrement condamné par la révolte des femmes de son sérail et le suicide de sa favorite, Roxane.

Pour le lecteur, le Persan faisant preuve d’une naïveté à l’égard des modes occidentales, mais en continuant la lecture, il se rend compte que c’est de lui que l’on se moque.

Montesquieu critique les manières de s’habiller des Français, surtout des Parisiens, en utilisant des hyperboles, des antithèses, des métaphores, des accumulations d’exemples.

Il critique clairement de façon implicite le système monarchique sous lequel il vit. Cette « arme fatale » créée par Richelieu consiste à réunir les trois pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif) sur la tête d’une seule et même personne : le Roi. Dans ce texte, Montesquieu laisse entendre la vulnérabilité et la versatilité des Français face à leur souverain.

LETTRE CLXI (161)

ROXANE À USBEK.

À Paris.

Oui, je t’ai trompé ; j’ai séduit tes eunuques ; je me suis jouée de ta jalousie ; et j’ai su, de ton affreux sérail, faire un lieu de délices et de plaisirs.

Je vais mourir ; le poison va couler dans mes veines : car que ferois-je ici, puisque le seul homme qui me retenoit à la vie n’est plus ? Je meurs ; mais mon ombre s’envole bien accompagnée : je viens d’envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges, qui ont répandu le plus beau sang du monde.

Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule pour m’imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices ? que, pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d’affliger tous mes désirs ? Non : j’ai pu vivre dans la servitude, mais j’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois sur celles de la nature ; et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance.

Tu devrois me rendre grâces encore du sacrifice que je t’ai fait ; de ce que je me suis abaissée jusqu’à te paraître fidèle ; de ce que j’ai lâchement gardé dans mon cœur ce que j’aurois dû faire paraître à toute la terre ; enfin de ce que j’ai profané la vertu en souffrant qu’on appelât de ce nom ma soumission à tes fantaisies.

Tu étois étonné de ne point trouver en moi les transports de l’amour : si tu m’avois bien connue, tu y aurois trouvé toute la violence de la haine.

Mais tu as eu longtemps l’avantage de croire qu’un cœur comme le mien t’étoit soumis. Nous étions tous deux heureux ; tu me croyois trompée, et je te trompais.

Ce langage, sans doute, te paroît nouveau. Seroit-il possible qu’après t’avoir accablé de douleurs, je te forçasse encore d’admirer mon courage ? Mais c’en est fait, le poison me consume, ma force m’abandonne ; la plume me tombe des mains ; je sens affaiblir jusqu’à ma haine ; je me meurs.

Du sérail d’Ispahan, le 8 de la lune de Rébiab 1, 1720.

FIN DU TOME SECOND

 

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