0:00:00 Dissertation / parcours : le personnage de roman, esthétiques et valeurs.
0:21:13 Lecture audio Le plaidoyer de Julien Sorel
Présentation et enjeux de l’œuvre
Henri Beyle, plus connu sous le pseudonyme de Stendhal (biographie), né le 23 janvier 1783 à Grenoble et mort d’apoplexie le 23 mars 1842 dans le 2e arrondissement de Paris, est un écrivain français, connu en particulier pour ses romans Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme.
Ses romans ont fait de lui, aux côtés de Balzac, Hugo, Flaubert et Zola, un des grands représentants du roman français au xixe siècle. Dans ses romans, caractérisés par un style économe et resserré, Stendhal cherche « la vérité, l’âpre vérité » dans le domaine psychologique, et campe essentiellement des jeunes gens aux aspirations romantiques de vitalité, de force du sentiment et de rêve de gloire.
Le Rouge et le Noir (1830) est le premier grand roman de Stendhal, et le premier roman à lier de façon si subtile la description de la réalité sociale de son temps et l’action romanesque.
Julien Sorel, le héros principal du livre, est le pur produit de son époque, le héros d’une France révoltée et révolutionnaire. Littéralement ivre d’ambition à cause de la lecture du Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases et conscient que, depuis la Révolution, c’est le mérite et non plus la naissance seule qui compte, il rêve de devenir lui-même un nouveau Bonaparte, à une époque, la Restauration, qui ne permet pas à un fils de charpentier de gravir les échelons de la société.
Le Rouge et le Noir est une peinture acerbe de la société sous la Restauration.
La peinture des mœurs chez Stendhal ne se veut jamais impartiale, mais critique : elle n’est pas motivée par une volonté sociologique, mais par le souci de faire tomber les faux-semblants et de montrer « la vérité, l’âpre vérité » (exergue du premier livre de Le Rouge et le Noir) de la société de son temps.
Résumé
Le roman est divisé en deux parties : la première partie retrace le parcours de Julien Sorel en province, dans une petite ville nommée Verrières, en Franche-Comté puis à Besançon, et plus précisément son entrée chez les Rênal, et sa passion avec Louise de Rênal, de même que son séjour dans un séminaire ; la seconde partie porte sur la vie du héros à Paris comme secrétaire du marquis de La Mole, et la passion qu’il a avec sa fille, Mathilde.
Julien Sorel est le troisième fils du scieur Sorel, qui n’a que mépris pour les choses intellectuelles et donc pour Julien, qui se révèle très tôt doué pour les études. Au contraire de ses frères, le garçon n’est pas taillé pour les travaux de force, et sa curiosité le pousse à s’instruire par tous les moyens possibles.
Il peut réciter par cœur le Nouveau Testament en latin, mais aussi il voue une admiration sans bornes à Napoléon Bonaparte, qu’il considère tout à la fois comme un dieu et comme un modèle de réussite.
Julien Sorel est protégé par l’abbé Chélan, qui le recommande au maire de Verrières, Monsieur de Rênal, comme précepteur de ses enfants, puis le fait entrer au séminaire.
Ce sont là les débuts de Julien dans le monde de la bourgeoisie provinciale. Malgré sa timidité naturelle, il parvient peu à peu à séduire Mme de Rênal, jeune femme assez belle, mais également d’une naïve timidité. La vie de Sorel chez les Rênal est donc marquée par sa vive passion pour Mme de Rênal et par son ambition démesurée. Il rêve de devenir une sorte de nouveau Napoléon Bonaparte. Sa vie est donc dominée par l’hypocrisie. Au château de monsieur de Rênal, il doit cacher ses sentiments pour la maîtresse de maison, et à l’abbé Chélan son admiration pour Napoléon.
Au château, le jeune homme prend l’habitude de passer ses soirées d’été en compagnie de Mme de Rênal. La fierté du jeune homme plaît à cette provinciale rêveuse, qui tombe amoureuse de lui sans s’en rendre compte. Mais le tempérament fier et ombrageux de Julien va bientôt tout gâcher : il refuse une augmentation de salaire proposée par Monsieur de Rênal et repousse les avances d’Élisa, femme de chambre de Mme de Rênal.
Monsieur de Rênal reçoit une lettre anonyme dénonçant l’adultère de sa femme. Julien quitte le domaine des Rênal et entre au grand séminaire de Besançon. Avant de partir, il a une dernière entrevue avec Mme de Rênal, qui lui paraît très froide, alors qu’elle lui porte toujours un amour profond. De là le malentendu qui aboutira à la tragédie. Julien l’impatient confond réserve et indifférence.
Au séminaire de Besançon, Julien est haï par ses camarades, sortes de paysans affamés dont l’aspiration suprême est « la choucroute du dîner » . L’abbé Pirard lui propose de devenir le secrétaire du marquis de La Mole. Il part alors pour Paris afin de prendre ses fonctions auprès de l’illustre aristocrate, après avoir rendu une visite clandestine à Mme de Rênal, où il eût manqué de perdre la vie.
Dans la Seconde partie, Julien fait la connaissance de Mathilde, la fille altière et passionnée du marquis, une personnalité remarquable et remarquée de la jeunesse aristocratique parisienne. En dépit de ses nombreux prétendants de haut rang et des origines modestes de Julien, elle ne tarde pas à s’éprendre de lui, en qui elle voit une âme noble et fière ainsi qu’une vivacité d’esprit qui tranche face à l’apathie des aristocrates de son salon.
Une passion tumultueuse commence alors entre les deux jeunes gens. Elle lui avouera ensuite qu’elle est enceinte, et prévient son père de son souhait d’épouser le jeune secrétaire. Mathilde ne réussit pas à convaincre tout à fait son père de la laisser épouser Julien, mais, dans l’attente d’une décision, le marquis fait anoblir Julien et lui procure un poste de lieutenant de hussards à Strasbourg. Le fils de charpentier devient ainsi « Monsieur le chevalier Julien Sorel de La Vernaye ».
Mais le marquis de La Mole refuse toute idée de mariage depuis qu’il a reçu une lettre de Mme de Rênal dénonçant l’immoralité de son ancien amant rongé par l’ambition. Julien, impavide, se rend alors de Paris à Verrières, entre dans l’église et tire à deux reprises, en pleine messe, sur son ancienne maîtresse. Il ne se rend alors pas compte qu’il n’est pas parvenu à la tuer.
Julien attend ensuite en prison la date de son jugement, pendant que Mathilde de La Mole multiplie les tentatives pour le faire acquitter et Mme de Rênal tente de faire pencher le procès en faveur de Julien en écrivant aux jurés que ce serait une faute de le condamner, et qu’elle lui pardonne volontiers son geste « maladroit ».
Valenod, qui fait partie du jury, parvient à faire condamner Julien à la guillotine. À l’issue de la sentence, Mathilde et Mme de Rênal espèrent encore un recours en appel, mais Julien ne voit pas d’autre issue que le couperet. Mme de Rênal est parvenue à obtenir l’autorisation d’aller voir Julien, qui retrouve pour elle une passion sans bornes. Malgré tous les sacrifices qu’elle est prête à consentir, Julien se résigne à la mort.
Après l’exécution, Mathilde de La Mole demande à voir la tête du père de son futur enfant, puis elle enterrera elle-même la tête à côté de sa tombe — reproduisant ainsi le geste que Marguerite de Navarre avait fait avec la tête décapitée de son amant Boniface de La Môle, son ancêtre qu’elle admire tant pour sa bravoure. Leur enfant aurait dû être pris en charge par Mme de Rênal, mais celle-ci meurt trois jours après Julien en embrassant ses enfants.
Le personnage et son époque
Stendhal veut explorer l’époque contemporaine : « Si vos personnages ne parlent pas politique, (…) ce ne sont plus des Français de 1830, et votre livre n’est plus un miroir, comme vous en avez la prétention… »
Il use de quelques jalons pour montrer les liens qui unissent le héros du roman et la société dans laquelle il espère briller.
Julien Sorel fait référence à un célèbre drame de Victor Hugo joué pour la première fois en février 1830 : « Ne laissons pas engager mon académicien, se dit Julien. Il s’approcha de lui comme on passait au jardin, prit un air doux et soumis, et partagea sa fureur contre le succès d’Hernani. »
Un autre personnage évoque encore l’année 1830 dans le chapitre XXIII du livre second : « Quelles que soient les plaisanteries plus ou moins ingénieuses qui furent à la mode quand vous étiez jeune, je dirai hautement, en 1830, que le clergé, guidé par Rome, parle seul au petit peuple. »
Le portrait de la société
Stendhal peint une société sans l’idéaliser, ce qui s’inscrit bien à sa manière dans l’esthétique réaliste. Il représente ainsi un monde dans lequel l’argent joue un rôle de plus en plus important : « l’atmosphère empestée des petits intérêts d’argent ».
Le père de Julien est connu pour son avarice et se console de la mort de son fils parce qu’il pense en tirer un peu d’argent.
Les valeurs morales comptent alors moins que les valeurs matérielles.
Parcours : le personnage de roman, esthétiques et valeurs
Julien Sorel est l’héros du roman : précepteur chez Monsieur de Rênal où il est l’amant de Mme de Rênal, puis secrétaire chez le Marquis de la Mole. Brun, pâle, fin et séduisant, jeune homme ambitieux, il n’hésite pas à user d’hypocrisie et de manipulations pour satisfaire son rêve d’ascension sociale ; pourtant il garde un « cœur noble ». Malgré son intelligence et son excellente mémoire, il ne parvient pas à briller en société, où il commet de nombreuses maladresses et autres erreurs de jugement. Son admiration pour Napoléon ne rencontre pas la faveur de l’époque (la Restauration) et il est contraint de la dissimuler. Il est âgé de dix-huit ans au début du roman et en a vingt-trois quand il meurt.
Le personnage de roman est un être de fiction vraisemblable, ancré dans une époque et un milieu.
On remarque l’art du portrait dans : la construction et mises en valeur esthétique du personnage, la trajectoire du personnage dans le temps et l’espace, son évolution selon ses actions, ses traits de caractère, ses relations à autrui, sa place dans la société.
Le personnage de roman est l’incarnation de valeurs, le reflet de la vision du monde construite par le romancier.
Il a une destinée qui ordonne le monde, propose une leçon de vie et représente les valeurs de la société, ou se place en marge de ces dernières.
Il suit toute une palette de valeurs familiales et sociales, pour se forger sa propre personnalité.
Les héros du roman sont des personnages qui font rêver et auxquels le lecteur peut avoir envie de s’identifier.
Dans la notion de anti-héros : avec un comportement immoral, avec vulgarité, absence de volonté et dégoût de la vie.
Le personnage de roman est au centre du dispositif romanesque et il est indispensable et il résiste et reste toujours au cœur du dispositif narratif.
Dans Le Rouge et le Noir, Julien Sorel fait l’objet d’une étude approfondie. Ambition, amour, passé, tout est analysé. Le lecteur suit avec un intérêt croissant les méandres de sa pensée, qui conditionnent ses actions. Mathilde de la Mole et Mme de Rênal ne sont pas en reste. Leurs passions respectives pour Julien, égales l’une à l’autre, sont mises en perspective. Tout le monde est mis à nu sous la plume de Stendhal.
Analyse, Signification du titre, Le Rouge et le Noir et son époque
Le titre original était tout simplement Julien, mais Stendhal l’a ensuite remplacé par un autre : Le Rouge et le Noir, qui paraît toujours un titre énigmatique, sur lequel Stendhal n’a jamais donné d’explication.
Il existe diverses interprétations, et la plus courante est que le rouge symbolise l’armée et le noir le clergé. Ainsi durant tout le roman, le protagoniste hésite entre l’armée et sa passion pour Napoléon, et le clergé, qui lui a permis d’effectuer ses études et a donc favorisé son ascension sociale.
L’affaire Berthet représente la première source d’inspiration de Stendhal pour la trame de son roman. Ce fait se rapportait à l’exécution d’Antoine Berthet, fils de petits artisans, qu’un curé remarqua très tôt pour son intelligence et qu’il fit entrer au séminaire. Berthet devint le précepteur des enfants de la famille Michoud, puis l’amant de Madame Michoud, puis il trouve une nouvelle place de précepteur, dans une famille noble : les Cordon, où il séduit la fille de son employeur, qui le chasse. Berthet décide de se venger, il entre dans l’église de son village et il tire un coup de pistolet sur son ancienne maîtresse Madame Michoud, qui survivra à ses blessures, puis tente de se suicider. Il est condamné à mort et exécuté quand il avait vingt-cinq ans.
Étude sociale, politique, historique, Le Rouge et le Noir est un roman qui compose avec l’histoire : il fut sous-titré par Stendhal lui-même « chroniques de 1830 ».
Il peint une image de la France de la Restauration, les oppositions entre Paris et la province, entre noblesse et bourgeoisie, entre les jansénistes et les jésuites.
Postérité et hommages
Selon Nietzsche, Stendhal est « le dernier des grands psychologues français ».
« Stendhal, l’un des « hasards » les plus beaux de ma vie – car tout ce qui fait époque en moi m’a été donné d’aventure et non sur recommandation, – Stendhal possède des mérites inestimables, la double vue psychologique, un sens du fait qui rappelle la proximité du plus grand des réalistes (ex ungue Napaleonem « par la mâchoire (on reconnaît) Napoléon »), enfin, et ce n’est pas la moindre de ses gloires, un athéisme sincère qu’on rencontre rarement en France, pour ne pas dire presque jamais […] Peut-être suis-je même jaloux de Stendhal. Il m’a volé le meilleur mot que mon athéisme eût pu trouver : « La seule excuse de Dieu, c’est de ne pas exister. » »
„L’expression la plus réussie de la curiosité et de l’inventivité dont les français ont fait preuve dans ce domaine des subtils frissons, j’en vois l’incarnation dans Henri Beyle (Stendhal), cet extraordinaire précurseur qui parcourut à une allure napoléonienne, en veneur et en découvreur, l’Europe de son temps et plusieurs siècles de l’âme européenne : il a fallu deux générations pour le rattraper tant bien que mal, pour deviner après lui quelques-unes des énigmes qui le tourmentèrent et le ravirent, cet étonnant épicurien, ce point d’interrogation fait homme, le dernier grand psychologue de la France…” Nietzsche Par-delà bien et mal.
Lecture audio
Stendhal
Le Rouge et le Noir
LXXI
Le Jugement.
Le plaidoyer de Julien Sorel
Le pays se souviendra longtemps de ce procès célèbre. L’intérêt pour l’accusé était porté jusqu’à l’agitation ; c’est que son crime était étonnant et pourtant pas atroce. L’eût-il été, ce jeune homme était si beau ! sa haute fortune, sitôt finie, augmentait l’attendrissement. Le condamneront-ils ? demandaient les femmes aux hommes de leur connaissance, et on les voyait pâlissantes attendre la réponse.
Sainte-Beuve.
Enfin parut ce jour, tellement redouté de madame de Rênal et de Mathilde.
Voilà le dernier de mes jours qui commence, pensa Julien. Bientôt il se sentit enflammé par l’idée du devoir. Il avait dominé jusque-là son attendrissement, et gardé sa résolution de ne point parler ; mais quand le président des assises lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter, il se leva. Il voyait devant lui les yeux de madame Derville qui, aux lumières, lui semblèrent bien brillants. Pleurerait-elle, par hasard ? pensa-t-il.
« Messieurs les jurés,
» L’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune.
» Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m’attend : elle sera juste. J’ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Madame de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J’ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure, et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société.
» Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés… »
Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu’il avait sur le cœur ; l’avocat général, qui aspirait aux faveurs de l’aristocratie, bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes. Madame Derville elle-même avait son mouchoir sur ses yeux. Avant de finir, Julien revint à la préméditation, à son repentir, au respect, à l’adoration filiale et sans bornes que, dans les temps plus heureux, il avait pour madame de Rênal… Madame Derville jeta un cri et s’évanouit.
Une heure sonnait comme les jurés se retiraient dans leur chambre. Aucune femme n’avait abandonné sa place ; plusieurs hommes avaient les larmes aux yeux. Les conversations furent d’abord très vives ; mais peu à peu, la décision du jury se faisant attendre, la fatigue générale commença à jeter du calme dans l’assemblée. Ce moment était solennel ; les lumières jetaient moins d’éclat. Julien, très fatigué, entendait discuter auprès de lui la question de savoir si ce retard était de bon ou de mauvais augure. Il vit avec plaisir que tous les vœux étaient pour lui ; le jury ne revenait point, et cependant aucune femme ne quittait la salle.
Comme deux heures venaient de sonner, un grand mouvement se fit entendre. La petite porte de la chambre des jurés s’ouvrit. M. le baron de Valenod s’avança d’un pas grave et théâtral, il était suivi de tous les jurés. Il toussa, puis déclara qu’en son âme et conscience la déclaration unanime du jury était que Julien Sorel était coupable de meurtre, et de meurtre avec préméditation : cette déclaration entraînait la peine de mort ; elle fut prononcée un instant après. Julien regarda sa montre, et se souvint de M. de Lavalette, il était deux heures et un quart. C’est aujourd’hui vendredi, pensa-t-il.
Oui, mais ce jour est heureux pour le Valenod, qui me condamne… Je suis trop surveillé pour que Mathilde puisse me sauver comme fit madame de Lavalette… Ainsi, dans trois jours, à cette même heure, je saurai à quoi m’en tenir sur le grand peut-être.
En ce moment, il entendit un cri et fut rappelé aux choses de ce monde. Les femmes autour de lui sanglotaient ; il vit que toutes les figures étaient tournées vers une petite tribune pratiquée dans le couronnement d’un pilastre gothique. Il sut plus tard que Mathilde s’y était cachée. Comme le cri ne se renouvela pas, tout le monde se remit à regarder Julien, auquel les gendarmes cherchaient à faire traverser la foule.
Tâchons de ne pas apprêter à rire à ce fripon de Valenod, pensa Julien. Avec quel air contrit et patelin il a prononcé la déclaration qui entraîne la peine de mort ! tandis que ce pauvre président des assises, tout juge qu’il est depuis nombre d’années, avait la larme à l’œil en me condamnant. Quelle joie pour le Valenod de se venger de notre ancienne rivalité auprès de madame de Rênal !… Je ne la verrai donc plus ! C’en est fait… Un dernier adieu est impossible entre nous, je le sens… Que j’aurais été heureux de lui dire toute l’horreur que j’ai de mon crime !
Seulement ces paroles : Je me trouve justement condamné.